- Messages : 1987
- Remerciements reçus 68
killinger & Freund, ou l'apogée du moteur-roue à essence
- indienestmonnom
- Auteur du sujet
- Hors Ligne
- Moderateur
Réduire
Plus d'informations
18 Juil 2017 16:00 - 18 Juil 2017 16:08 #2781
par indienestmonnom
indienestmonnom a créé le sujet : killinger & Freund, ou l'apogée du moteur-roue à essence
On pense que les choses sont comme elles sont parce que c’est comme ça. Les femmes sont des salopes, les hommes sont des cons, les politiques sont des menteurs, les banquiers, les notaires, les orthodontistes, les plombiers, les garagistes, sont des voleurs et les motos sont des tractions arrière. On oublie ainsi trop souvent que la norme est le résultat de tâtonnements, d’échecs ou de coups de génie qui finissent par s’effacer dans la durée devant les solutions abouties dont ils sont les précurseurs.
Dans l’histoire de la motorisation, les recherches, les découvertes et les choix ont toujours été guidés par un strict souci d’efficacité. De la combustion à la distribution, en passant par la démultiplication, les suspensions et la gestion de la décélération, toutes les options ont été testées pour optimiser – dans l’ordre - la vitesse de déplacement, l’économie d’énergie et la sécurité routière.
À ce titre, la question du mode d’entrainement demeure. Vaut-il mieux profiter d’une traction avant ou arrière (selon que le moteur situé à l’avant du véhicule transmet son effort sur les roues avant ou arrière), d’une propulsion avec « tout dans le dos » ou d’un transmission intégrale répartie sur les deux essieux ?
S’agissant d’une traction avant, arrêtons-nous un instant sur la technologie des moteurs tournants (issus des débuts de l’aviation) lorsque ceux-ci sont logés directement dans la roue.
Le coup de la transmission intégré à la roue, on connait déjà. Tous les premiers vélos fonctionnaient sur ce principe. Du premier vélocipède d’Ernest et Pierre Michaux en 1861, en passant par le Grand Bi, la bicyclette bourgeoise des années 1870, le pédalier était toujours situé sur le moyeu. C’est seulement la décennie suivante que le recul du conducteur et du pédalier vers le centre du cadre (pour éviter le basculement lors des freinages), et la transmission par chaine (pour moins forcer sur les jambes), ont configuré l’allure de nos bicyclettes actuelles.
Bien que les premiers exemplaires de « vélocipèdes à grand vitesse » soient établis dès 1866, la dénomination de « motocyclette » n’apparait que lors d’un acte de dépôt de marque en 1897 par les frères Eugène et Michel Werner, fabricants installés à Levallois-Perret. Parmi les inventions qui ont contribué à l’essor du deux-roues motorisé, remarquons celle du Félix Millet qui fabrique et vend en 1887 quelques exemplaires d'une moto équipée d'un moteur à pétrole à cinq cylindres en étoile, placé dans la roue arrière…
En 1897, Ludwig Lohner - plus important fabricant de véhicules hippomobiles austro-hongrois - recrute le jeune inventeur austro-hongrois Ferdinand Porsche, âgé de 22 ans, qui conçoit la première automobile hybride dont le moteur-roue électrique est intégré dans le moyeu. 300 véhicules seront commercialisés entre 1900 et 1906. Équipés de batteries au plomb acide pouvant peser jusqu'à 1,8 tonnes, ces voitures affichaient un poids total de 4 tonnes et le coût de leur production ne pouvait lutter longtemps contre la concurrence des systèmes tout-essence.
Il faut attendre 1920 pour voir réapparaitre le dispositif du moteur tournant dans la roue avant. Construite entre 1921 et 1925 à environ 2 000 exemplaires par la Deutsche-Megola-Werke G.m.b.H à Munich, la moto Megola est le résultat de la collaboration de ses trois concepteurs : Hans Meixner, Fritz Cockerell et Otto Landgraf. Elle ne possède ni boîte de vitesses, ni embrayage (la moto cale à l'arrêt), ni silencieux d'échappement ni freins arrière ! Mais son moteur rotatif à cinq cylindres en étoile tournant avec la roue avant lui permet d'atteindre les 100 km/h. De plus, la position du moteur lui procure un excellent confort de pilotage, dû à l’abaissement de son centre de gravité et à l'effet gyroscopique de la roue avant qui tendent à stabiliser la machine. Pourtant, malgré avoir remporté le championnat d’Allemagne en 1924 et vu sa vitesse maximale augmenter à 140km/h pour les derniers modèles sportifs produits, la Megola souffrait d’évidents problème d’utilisation, comme le manque de boite de vitesse ou la procédure de changement de pneumatique.
Ayant à l’esprit ces défauts, deux allemands passionnés d’ingénierie comme de design, Robert Killinger pour le moteur et Walter Freund pour le cadre, secondés par trois techniciens, vont mettre au point durant trois ans une nouvelle version dont le nom « Killinger & Freund Motorrad » brillent désormais au firmament des plus inconnues et plus spectaculaires réalisations de l’histoire automobile.
Crédit photo : Helmut Reitmeir
Killinger & Freund Motorrad
Ce qui frappe en premier lieu, c’est le carénage de l’engin. Puisant directement dans le style « streamliner », en plein essor dans l’industrie du rail à l’époque et caractérisé par une recherche d’aérodynamisme fondée sur des formes arrondies qui élimine au maximum les angles et les arrêtes, la configuration retenue ici est celle d’un cadre monobloc tubulaire, entièrement recouvert d'une fine couche de tôle qui couvre les roues avant et arrière et le réservoir d'essence. La règle graphique consiste à présenter de larges courbes au contact frontal de l’air et de finir en pointe dans la queue du déplacement, comme la silhouette d’une goutte d’eau. Il en résulte une allure général sobre et compacte, élégante, sculpturale et délicieusement surannée aujourd’hui.
Mais la réussite de la « Killinger & Freund » est loin de ne s’en tenir qu’à son aspect esthétique, car son mérite, elle le doit surtout au travail technique effectué. Fort des inventions mécaniques éprouvées depuis l’abandon de la Megola, l’équipe a corrigé les absences de son ancêtre en l’inscrivant dans une recherche d’efficacité et de confort qui aurait pu, qui aurait dû, devenir une référence.
Le moteur trois cylindres refroidi par air et logé dans la roue avant, qui conserve l’architecture de celui de la Megola, développe toujours 600cc, mais en simplifiant la conception mécanique et en remplaçant les pièces par des équivalents plus petits son poids a été réduit à celui d’un 100cc. La transmission est à deux vitesses. Le frein avant est intégré dans le moyeu, les durites d’essence sont flexibles. Les amortisseurs télescopiques remplis d'huile ont été reliés à l'extrémité inférieure du cadre du tube et un couvercle placé dans le cadre de la boîte donne un accès facile aux réglages de la suspension du siège. Une batterie a été ajouté afin de faciliter les démarrages et tenir le ralenti à l’arrêt. On accède aisément à toutes les parties du moteur et un système de sécurité permet de retirer rapidement le pneu et la jante. Au total, l’engin pèse 135kg.
En 1938, tout était prêt. Les premiers essais furent réalisés et les résultats s’annoncèrent très satisfaisants, avec une nette amélioration par rapport à la Megola, tant au point de vue puissance, consommation ou tenue de route. Enregistrée sous le nom « Colombe de la paix » au salon International de l’Automobile et destinée au grand-public, la Killinger & Freund sera emportée par la seconde guerre mondiale. L’armée américaine retrouvera un exemplaire près de Munich en 1945, sans que l’on soit sûr qu’il s’agisse de l’original. Un GI l’emportera avec lui au pays. Certains exemplaires qui apparaissent sur le web ne semblent être que des répliques, tandis qu’un ayant-droit manifeste aujourd’hui sa volonté de voir revenir en Allemagne et au Musée allemand de Munich précisément, cette démonstration d’amour du style et de la technique réunis.
Avec la fin du projet, on ne revit plus un système de moteur-roue avant un bon bout de temps. Pour rester dans cette approche ante-décalée des moyens de locomotion en deux roues historiques, il nous faut attendre jusqu’à l’avènement du Solex, digne successeur du Moteur Ixion qui équipait déjà les motocyclettes Komet en 1902. À l’aune de ces dynasties perdues mais sans cesse renouvelées, se révèle notre rôle de passeur de mémoire dont la "Colombe de la paix" a besoin pour être enfin reconnue comme telle...
fr.wikipedia.org/wiki/Lohner
fr.wikipedia.org/wiki/Megola
en.wikipedia.org/wiki/Killinger_and_Freund_Motorcycle
berglaufpur.de/berglauf/Motorrad_Frieden...eFreundKillinger.htm
Dans l’histoire de la motorisation, les recherches, les découvertes et les choix ont toujours été guidés par un strict souci d’efficacité. De la combustion à la distribution, en passant par la démultiplication, les suspensions et la gestion de la décélération, toutes les options ont été testées pour optimiser – dans l’ordre - la vitesse de déplacement, l’économie d’énergie et la sécurité routière.
À ce titre, la question du mode d’entrainement demeure. Vaut-il mieux profiter d’une traction avant ou arrière (selon que le moteur situé à l’avant du véhicule transmet son effort sur les roues avant ou arrière), d’une propulsion avec « tout dans le dos » ou d’un transmission intégrale répartie sur les deux essieux ?
S’agissant d’une traction avant, arrêtons-nous un instant sur la technologie des moteurs tournants (issus des débuts de l’aviation) lorsque ceux-ci sont logés directement dans la roue.
Le coup de la transmission intégré à la roue, on connait déjà. Tous les premiers vélos fonctionnaient sur ce principe. Du premier vélocipède d’Ernest et Pierre Michaux en 1861, en passant par le Grand Bi, la bicyclette bourgeoise des années 1870, le pédalier était toujours situé sur le moyeu. C’est seulement la décennie suivante que le recul du conducteur et du pédalier vers le centre du cadre (pour éviter le basculement lors des freinages), et la transmission par chaine (pour moins forcer sur les jambes), ont configuré l’allure de nos bicyclettes actuelles.
Bien que les premiers exemplaires de « vélocipèdes à grand vitesse » soient établis dès 1866, la dénomination de « motocyclette » n’apparait que lors d’un acte de dépôt de marque en 1897 par les frères Eugène et Michel Werner, fabricants installés à Levallois-Perret. Parmi les inventions qui ont contribué à l’essor du deux-roues motorisé, remarquons celle du Félix Millet qui fabrique et vend en 1887 quelques exemplaires d'une moto équipée d'un moteur à pétrole à cinq cylindres en étoile, placé dans la roue arrière…
En 1897, Ludwig Lohner - plus important fabricant de véhicules hippomobiles austro-hongrois - recrute le jeune inventeur austro-hongrois Ferdinand Porsche, âgé de 22 ans, qui conçoit la première automobile hybride dont le moteur-roue électrique est intégré dans le moyeu. 300 véhicules seront commercialisés entre 1900 et 1906. Équipés de batteries au plomb acide pouvant peser jusqu'à 1,8 tonnes, ces voitures affichaient un poids total de 4 tonnes et le coût de leur production ne pouvait lutter longtemps contre la concurrence des systèmes tout-essence.
Il faut attendre 1920 pour voir réapparaitre le dispositif du moteur tournant dans la roue avant. Construite entre 1921 et 1925 à environ 2 000 exemplaires par la Deutsche-Megola-Werke G.m.b.H à Munich, la moto Megola est le résultat de la collaboration de ses trois concepteurs : Hans Meixner, Fritz Cockerell et Otto Landgraf. Elle ne possède ni boîte de vitesses, ni embrayage (la moto cale à l'arrêt), ni silencieux d'échappement ni freins arrière ! Mais son moteur rotatif à cinq cylindres en étoile tournant avec la roue avant lui permet d'atteindre les 100 km/h. De plus, la position du moteur lui procure un excellent confort de pilotage, dû à l’abaissement de son centre de gravité et à l'effet gyroscopique de la roue avant qui tendent à stabiliser la machine. Pourtant, malgré avoir remporté le championnat d’Allemagne en 1924 et vu sa vitesse maximale augmenter à 140km/h pour les derniers modèles sportifs produits, la Megola souffrait d’évidents problème d’utilisation, comme le manque de boite de vitesse ou la procédure de changement de pneumatique.
Ayant à l’esprit ces défauts, deux allemands passionnés d’ingénierie comme de design, Robert Killinger pour le moteur et Walter Freund pour le cadre, secondés par trois techniciens, vont mettre au point durant trois ans une nouvelle version dont le nom « Killinger & Freund Motorrad » brillent désormais au firmament des plus inconnues et plus spectaculaires réalisations de l’histoire automobile.
Crédit photo : Helmut Reitmeir
Killinger & Freund Motorrad
Ce qui frappe en premier lieu, c’est le carénage de l’engin. Puisant directement dans le style « streamliner », en plein essor dans l’industrie du rail à l’époque et caractérisé par une recherche d’aérodynamisme fondée sur des formes arrondies qui élimine au maximum les angles et les arrêtes, la configuration retenue ici est celle d’un cadre monobloc tubulaire, entièrement recouvert d'une fine couche de tôle qui couvre les roues avant et arrière et le réservoir d'essence. La règle graphique consiste à présenter de larges courbes au contact frontal de l’air et de finir en pointe dans la queue du déplacement, comme la silhouette d’une goutte d’eau. Il en résulte une allure général sobre et compacte, élégante, sculpturale et délicieusement surannée aujourd’hui.
Mais la réussite de la « Killinger & Freund » est loin de ne s’en tenir qu’à son aspect esthétique, car son mérite, elle le doit surtout au travail technique effectué. Fort des inventions mécaniques éprouvées depuis l’abandon de la Megola, l’équipe a corrigé les absences de son ancêtre en l’inscrivant dans une recherche d’efficacité et de confort qui aurait pu, qui aurait dû, devenir une référence.
Le moteur trois cylindres refroidi par air et logé dans la roue avant, qui conserve l’architecture de celui de la Megola, développe toujours 600cc, mais en simplifiant la conception mécanique et en remplaçant les pièces par des équivalents plus petits son poids a été réduit à celui d’un 100cc. La transmission est à deux vitesses. Le frein avant est intégré dans le moyeu, les durites d’essence sont flexibles. Les amortisseurs télescopiques remplis d'huile ont été reliés à l'extrémité inférieure du cadre du tube et un couvercle placé dans le cadre de la boîte donne un accès facile aux réglages de la suspension du siège. Une batterie a été ajouté afin de faciliter les démarrages et tenir le ralenti à l’arrêt. On accède aisément à toutes les parties du moteur et un système de sécurité permet de retirer rapidement le pneu et la jante. Au total, l’engin pèse 135kg.
En 1938, tout était prêt. Les premiers essais furent réalisés et les résultats s’annoncèrent très satisfaisants, avec une nette amélioration par rapport à la Megola, tant au point de vue puissance, consommation ou tenue de route. Enregistrée sous le nom « Colombe de la paix » au salon International de l’Automobile et destinée au grand-public, la Killinger & Freund sera emportée par la seconde guerre mondiale. L’armée américaine retrouvera un exemplaire près de Munich en 1945, sans que l’on soit sûr qu’il s’agisse de l’original. Un GI l’emportera avec lui au pays. Certains exemplaires qui apparaissent sur le web ne semblent être que des répliques, tandis qu’un ayant-droit manifeste aujourd’hui sa volonté de voir revenir en Allemagne et au Musée allemand de Munich précisément, cette démonstration d’amour du style et de la technique réunis.
Avec la fin du projet, on ne revit plus un système de moteur-roue avant un bon bout de temps. Pour rester dans cette approche ante-décalée des moyens de locomotion en deux roues historiques, il nous faut attendre jusqu’à l’avènement du Solex, digne successeur du Moteur Ixion qui équipait déjà les motocyclettes Komet en 1902. À l’aune de ces dynasties perdues mais sans cesse renouvelées, se révèle notre rôle de passeur de mémoire dont la "Colombe de la paix" a besoin pour être enfin reconnue comme telle...
fr.wikipedia.org/wiki/Lohner
fr.wikipedia.org/wiki/Megola
en.wikipedia.org/wiki/Killinger_and_Freund_Motorcycle
berglaufpur.de/berglauf/Motorrad_Frieden...eFreundKillinger.htm
Connexion ou Créer un compte pour participer à la conversation.