Qu’ils soient Tourer, Roadster ou Speedster, les véhicules boat-tail ont tous la particularité d’avoir leur extrémité arrière effilée en forme de poupe de bateau. Si le terme de boat-tail est aussi utilisé pour désigner la pointe d’une munition, ce type de profilé, placé en queue de véhicule, convient parfaitement aux courbes aérodynamiques réputées les plus efficaces sur une auto, celles d’une goutte d’eau.

C’est donc en toute logique que ce design fut d’abord employé sur des voitures élaborées dans un but sportif. A partir du début de la première mondiale, tous les constructeurs qui engageaient des véhicules en course adoptèrent cette ligne. Dans cette époque stylistique, deux noms reviennent inlassablement, entremêlés avec ceux des grandes marques, celui du pilote Italien Pietro Bordino et celui du carrossier français Jean Henri-Labourdette.

1. Piedro Bordino

Le premier commença par mener la Fiat S76, la « bête de Turin », à plus de 200km/h en 1911 ( touringers.org/fiat/177-fiat-s76-la-bete-de-turin.html ) sur le circuit de Brooklands en Angleterre. Sa carrière débuta sérieusement 10 ans plus tard tandis qu’il échoue de peu au GP de Brescia puis au GP de France l’année suivante à Strasbourg, malgré des temps record au tour. Il remporta cependant le GP d’Italie à Monza et le IIe Gran Premio delle Vetturette sur le même circuit en 1922. Jusqu’en 1927, il ne gagne aucune compétition. En 1923 aux GP de France et d’Italie, au GP de France à Lyon en 1924, il conduit la course et réalise les meilleurs temps au tour. Mais la mécanique, ou la fatalité, s’abat sur lui à chaque fois.

Peu après la décision de Fiat de se retirer de la compétition, Bordino tenta d’abord sa chance, sans succès, aux Mille Miglia de 1928, puis il s’engagea à la Targa Florio de la même saison, sur Bugatti. Alors qu’il fait quelques essais routiers autour du village de San Michele, ce dimanche 16 avril, sa 35C percute un chien, dont le corps s’encastre dans la colonne de direction, et fait perdre le contrôle du véhicule à son pilote. La voiture s'écrase dans la rivière et le « Diavolo Rosso » décède dans l’accident. Sous le choc de sa disparition, le GP d’Alexandrie est aussitôt rebaptisé « Coppa Pietro Bordino » et le tracé du circuit en prend également le nom.

L’émotion que Pietro Bordino procurait aux spectateurs par son style de conduite enthousiaste, qui poussait la voiture dans ces derniers retranchements, et la reconnaissance par ses pairs d’un rival au caractère extrêmement agréable, et que sa seule déveine permettait d'être vaincu, ont laissé une telle empreinte parmi ses contemporains que son nom fut également utilisé pour désigner la partie arrière des boat-tails, lorsque celle-ci présente un profil en étrave droite. Cette ligne est aujourd’hui distinctive de tous les modèles de course célèbres dans l’entre-deux guerres.

2. Jean Henri-Labourdette

La deuxième personnalité à avoir marqué l’Histoire des boat-tails est sans conteste Jean Henri-Labourdette. Installée depuis le milieu du XIXe siècle à Paris, la carrosserie Labourdette était spécialisée dans l’habillage des premiers véhicules à moteur. On doit à Henri, le père de Jean, la première carrosserie sur une automobile, avec des sièges dos-à-dos, sur un châssis Georges Richard en 1896, ainsi que la première « conduite intérieure » conçue pour Louis Renault en 1899.

Lorsqu’après le décès de son père, en 1910, Jean pris les rênes de l’entreprise avec son frère Fernand, il s’appellait encore Jean Jacques Labourdette. Ce n’est qu’en 1921 qu’il sera légalement autorisé à utiliser le patronyme Henri-Labourdette. Obsédé, comme ses aïeuls, par la recherche du gain de poids et féru d’aérodynamisme, Jean présenta en 1912 un modèle révolutionnaire qui fera sa renommée jusque dans les années 20, et dont la conception le rattachera à tout jamais à la définition du boat-tail, brouillant les cartes entre la forme de la queue, l’emploi des matériaux et l’esprit nautique : le skiff !

C’est le chevalier René de Knyff, administrateur de Panhard & Levassor, et lui-même pratiquant d’aviron, qui fut à l’origine de cette commande inédite. Sur un châssis Panhard 20HP, Labourdette élabora une carrosserie en forme de bateau, sans portière, avec une ossature construite selon les traditions de la charpenterie navale, et recouverte d’un triple bordé en acajou fixé par des clous apparents. Ce premier modèle, livré par les chantiers navals Despujols, pesait à peine 180 kg, avec son pare-brise, ses garde-boues et ses 4 sièges. En vertu de sa connotation maritime, le modèle fut aussitôt dénommé « skiff ».

Il ne fut fabriqué qu’à trois ou quatre exemplaires, mais son style inspira par la suite nombre de carrossiers. Au salon de Paris en 1913, Les établissements Labourdette exposèrent une demi-douzaine de skiffs qui firent une énorme sensation. Le style n’allait pas tarder à traverser l’Atlantique. De nombreuses variantes du skiff originel furent effectués sur base Panhard, Hispano-Suiza, Peugeot, Renault ou Rolls-Royce, dans un style « cab-skiffs » dont les sièges arrière avaient la particularité d’être protégés par un très petit pavillon. André Citroën passa lui aussi commande de trois skiffs qui servirent de modèle pour la B2 type « Caddy », et qui fut construite en petite série.

3. En définitive

Ce succès fait qu’encore aujourd’hui, les différences de détermination entre « boat-tail » et « skiff » sont quelquefois difficiles à saisir pour un néophyte. On veillera donc à ne pas nommer un boat-tail en forme d’obus un « skiff » sous prétexte qu’il est en bois, et on tiendra à appeler « skiff» un boat-tail à partir du moment où il en présente les caractéristiques, même s’il n’est pas en bois…

Toujours est-il que le style boat-tail va perdurer bien au-delà de celui du skiff, en étant largement utilisé sur le nouveau continent, notamment sur le concept automobile de « Roadster » définit aux Etats-Unis en 1916. Car ce découvrable de deux ou trois places à l’allure racée, taillé pour la grande consommation dans un pays en plein essor industriel, est la continuation logique du design ouvert, aux origines sportives, du boat-tail. Nous y reviendrons dans un prochain sujet.

Quant au skiff, qui pourrait douter de son apport aux « woodies », les station-wagon américains avec leurs flancs en lambris de bois, ou les Morris Mini traveller/Countryman plus modernes ? Et si cela ne suffisait pas à prouver qu’en style automobile autant qu’en mode vestimentaire, rien ne meurt jamais, je vous laisse juge de la Toyota Setsuna Concept, présentée en 2017 par la firme comme un « roadster en bois »…

Blitzen Benz 1909


Fiat S76 1911


Bordino au GP de France en 1922 sur Fiat 804


Accident de Bordino en 1928


Skiff Labourdette 1912



Crédit photos : Pontfire / Flickr


Crédit photos : Pontfire / Flickr

Mercedes Skiff 1912


Gobron-Brillie Skiff 1912


Peugeot Type 160 Skiff 1913

crédit photo : Thesupermat / Wikipedia

Rolls-Royce Silver Ghost Skiff 1914

Crédit photo : supercars.net

Hispano-Suiza H6B Skiff 1922

Crédit photo : dmentd / Flickr

Delage Skiff 1926

Crédit photo : kyter MC / Flickr

Renault 40cv Skiff 1926

Crédit photo : ultimatecarpage.com

Citroën B2 Caddy 1922

Crédit photo : stubs-auto.fr

Toyota Setsuna Concept 2017

Crédit photo : Toyota

Sources :

books.google.fr/books?id=6GQoDwAAQBAJ&pg...%2B%20racing&f=false

www.google.fr/imgres?imgurl=http%3A%2F%2...EMYB&iact=mrc&uact=8

www.uniquecarsandparts.com.au/race_drivers_pietro_bordino

www.adrenaline24h.com/pietro-bordino-la-...n-bambino-fortunato/

web.archive.org/web/20090622184537/http:...te.com/histoire.html

www.autocyber.fr/article/LABOURDETTE-Ski...Vutotal#!prettyPhoto

theoldmotor.com/?p=137985

panhard-racing-team.fr/?page_id=7698

Merci Jean-Marie pour cet article très documenté :

Ci-dessous, deux extraits de mon exemplaire du livre de Jean Henri Labourdette "un siècle de carrosserie française",





Sur le dernier document, tu trouveras quelques explications sur la conception des ailes, dont le style fut également initié par ce carrossier et reproduit sur la Citroên B2 Caddy

Il parait qu'il s'agit du seul ouvrage qui lui ait été consacré. Je n'ai pas parlé de ces autres contributions à l'Histoire automobile, mais on peut citer le principe de Vutotal, qui consiste à supprimer les montants entre les vitres latérales, voire à accrocher la capote directement sur le verre épais...

Voici deux exemples sur base Amilcar.
L'usine Amilcar sortait pour la plus grande partie de sa production des châssis roulants, qui traversaient la rue et était carrossés chez Ch. Duval.
Certains client voulant du sur mesure pouvaient acheter les châssis nus.
Le CS de 1923 ci-dessous a été carrossé à ma connaissance à Marseille, chez "La Phocéenne"





Autre CS, dont la carrosserie d'origine est inconue, a été re-carrossé vers 1965 en Floride en 3 places avant de revenir en Europe, dans un musée hollandais où il s'était gentiment endormi depuis les 70'.
Grace à un passionné allemand, le voila à nouveau sur la route depuis l'an dernier :

Quel panard, ces rasso d'Amilcar, ça doit avoir une de ces gueules en vrai !!

J'alimente le post avec un exemplaire vu ce dimanche à Montlhéry.

Cette Bug a été re-carrossée par l'ancien président du Bugatti Trust (le club anglais) dans les années 70'.
C'est une toile enduite sur la structure bois
Pas moyen de savoir si c'est conforme à une production d'origine, mais c'est bien dans l'esprit de Labourdette.

Tout un monde ces culs pointus ou arrondis....

EB

La toile enduite et tendue, ça me ferait penser à :